
Alexei Goldmann
PRATIQUES DE PLEINE CONSCIENCE
Introduction: Pourquoi ce silence vous est-il nécessaire?
Imaginez: vous êtes en train de petit-déjeuner. Votre main porte automatiquement la cuillère à votre bouche. Vos yeux parcourent l’écran de votre téléphone. Votre esprit est déjà dans la réunion qui commence dans une heure, ou dans la conversation d’hier qui vous a blessé. Et le goût des aliments? Comme s’il n’avait jamais existé. Vous vous êtes simplement “ravitaillé” pendant que votre esprit était ailleurs.
Cela vous semble familier? C’est le “pilotage automatique” — un état dans lequel nous passons la majeure partie de notre vie. Physiquement présents, mais nos pensées, elles, sont ailleurs: dans le passé (regrets, analyses), dans le futur (inquiétudes, planifications), ou simplement dans un flot incessant de ruminations mentales. Et l’instant présent, le seul où nous vivons vraiment, nous échappe.
C’est là qu’intervient la pleine conscience (mindfulness).
En termes simples, la pleine conscience est la capacité d’être ici et maintenant, délibérément et sans jugement. Ce n’est pas de la magie, ni une religion, ni une fuite de la réalité. C’est une compétence attentionnelle. La compétence de remarquer :
Ce qui se passe autour de vous: Le bruit de la pluie contre la fenêtre, la sensation d’une tasse chaude entre vos mains, le jeu de la lumière sur le mur.
Ce qui se passe en vous: Les tensions dans les épaules, une légère anxiété avant une présentation, une joie fugace à la réception d’un message d’un ami, le flux des pensées (” Et si je suis en retard?”, “Qu’est-ce qu’elle a voulu dire par là?”).
Pourquoi est-ce important? Parce que la vie en pilotage automatique a un coût :
Nous passons à côté de la beauté: Nous manquons des milliers de petites joies — le sourire d’un enfant, le goût du café, le premier rayon de soleil.
Nous accumulons du stress: Les pensées constantes sur le passé et le futur créent une tension chronique. Nous réagissons aux événements de manière automatique, souvent de la pire façon.
Nous perdons le contact avec nous-mêmes: Nous cessons de comprendre ce que nous ressentons vraiment et ce que nous voulons. Nous agissons par habitude ou sous la pression.
Nous perdons la possibilité de choisir: En pilotage automatique, notre réaction est une habitude. La pleine conscience offre une pause, un espace pour choisir notre réponse.
Chapitre 1: Votre ancre principale — La Respiration
Dans l’introduction, nous avons fait une petite pause — l’exercice “Stop!”. Vous avez brièvement déplacé votre attention des pensées vers votre corps et votre respiration. Peut-être avez-vous senti un léger ralentissement, une infime pause dans le flot de vos pensées. C’est la première étape vers la pleine conscience.
Maintenant, imaginez: vous êtes dans un bateau au milieu de l’océan. Les vagues vous bercent, le vent vous déroute. Vous avez besoin d’un point de repère, d’une ancre. Dans le monde du mouvement perpétuel des pensées et de l’agitation extérieure, cette ancre pour votre attention peut être… votre propre respiration.
Pourquoi la respiration?
Elle est toujours avec vous. Aucun accessoire n’est nécessaire. Vous respirez en ce moment même, en lisant ces lignes.
Elle change constamment. Chaque inspiration et expiration est unique — plus profonde ou plus superficielle, plus rapide ou plus lente. C’est une source riche d’observation.
Elle est liée à votre état. Lorsque vous êtes calme, votre respiration est régulière et profonde. Lorsque vous êtes anxieux ou en colère, elle devient superficielle et rapide. En l’observant, vous obtenez un retour d’information instantané sur vous-même.
Elle se produit dans le moment présent. La respiration est toujours ici et maintenant. Elle ne peut pas être dans le passé ou le futur. En vous concentrant sur elle, vous revenez automatiquement à “l’ici et maintenant”.
La respiration n’est pas un objet à contrôler! Il ne s’agit pas de chercher à respirer “correctement”, profondément ou d’une manière particulière. Le but est simplement d’observer. Comme si vous étiez un scientifique curieux, étudiant un phénomène naturel étonnant — votre propre respiration.
Pratique: Observation de la respiration (3—5 minutes)
Trouvez un endroit relativement calme où vous ne serez pas dérangé pendant quelques minutes. Asseyez-vous confortablement, le dos droit mais non raide (sur une chaise, un canapé ou même par terre). Posez vos mains sur vos genoux ou vos cuisses. Fermez les yeux ou laissez doucement votre regard se poser devant vous.
Préparez-vous: Prenez une ou deux respirations normales, simplement pour sentir votre corps dans cette position. Sentez le contact avec la chaise ou le sol.
Trouvez un point d’ancrage: Choisissez un endroit où il vous est plus facile de sentir votre respiration :
Le bout du nez: La sensation de fraîcheur de l’air entrant et de chaleur de l’air sortant.
La poitrine: Comment la cage thoracique se soulève et s’abaisse.
Le ventre: Comment il se gonfle doucement à l’inspiration et retombe à l’expiration.
La sensation générale du flux d’air: Sur tout le trajet — du nez aux poumons et retour.
Choisissez un point qui vous paraît le plus évident ou le plus confortable pour l’observation en ce moment. Inutile de changer.
Observez: Concentrez toute votre attention sur la sensation choisie, liée à la respiration.
L’inspiration… Notez le moment où elle commence, son déroulement, l’instant de transition vers l’expiration.
L’expiration… Notez comment l’air quitte le corps. Sentez-vous une pause avant l’inspiration suivante?
Ne contrôlez pas! Contentez-vous d’observer. Laissez la respiration aller et venir d’elle-même.
Lorsque l’esprit s’égare (et il le fera!): C’est absolument normal et inévitable! Au bout de quelques secondes (voire instantanément), vous remarquerez que votre attention a dérivé. Vous pensez à votre liste de choses à faire, à ce que vous avez lu, à savoir si vous faites bien l’exercice, à un bruit à l’extérieur…
Ne vous critiquez pas! Ce n’est pas un échec. C’est le moment clé de la pratique.
Notez-le simplement: “Ah, je suis en train de penser à [telle chose]” ou “Mon esprit a dérivé”.
Ramenez doucement votre attention, sans effort, comme si vous ramassiez une plume, vers la sensation de la respiration au point choisi. Sentez à nouveau l’inspiration ou l’expiration suivante.
Répétez: Ce cycle — observation de la respiration -> l’esprit s’égare -> on le note sans jugement -> on revient doucement à la respiration — est l’essence de la pratique. Chaque retour est une “flexion” pour votre muscle attentionnel. Faites cela autant de fois que nécessaire pendant ces 3—5 minutes.
Terminez: Au bout du temps (vous pouvez utiliser un minuteur doux ou simplement estimer), prenez une ou deux autres respirations conscientes. Sentez votre corps assis. Ouvrez lentement les yeux (s’ils étaient fermés). Notez mentalement comment vous vous sentez maintenant.
Que faire si…
Ma respiration devient irrégulière quand je l’observe? C’est une réaction fréquente! Dès que vous le remarquez, relâchez toute tentative de contrôle. Revenez au rôle d’observateur. La respiration se calmera d’elle-même.
Je ne sens pas ma respiration au point choisi? Essayez de poser une main sur votre ventre ou votre poitrine pour amplifier la sensation. Ou déplacez simplement votre attention vers l’endroit où la respiration est plus perceptible. Ce n’est pas un examen!
Je m’ennuie / Je suis mal à l’aise / Je m’endors? Ce sont aussi des réactions normales. Notez-les (” Oh, de l’ennui”, “Oh, de l’inconfort”, “Oh, de la somnolence”), acceptez-les comme un fait et revenez doucement à la respiration. Si vous vous endormez, essayez de pratiquer assis plutôt qu’allongé, ou choisissez un moment de la journée où vous êtes plus alerte.
Micro-pratique quotidienne: “Trois Respirations Conscientes”
Vous n’avez pas besoin d’attendre un moment spécial pour pratiquer. Utilisez la respiration comme une ancre tout au long de la journée :
Arrêtez-vous un instant (avant un appel important, dans une file d’attente, quand vous sentez que vous commencez à être nerveux, sans raison particulière).
Déplacez votre attention vers votre respiration.
Suivez consciemment trois cycles complets “inspiration-expiration”. Sans en changer le rythme, en notant simplement les sensations de l’air, les mouvements du corps.
Reprenez votre journée. Ces 15—30 secondes peuvent devenir une îlot de calme dans le flux de vos activités.
Votre respiration est votre gouvernail intérieur. Lorsque les pensées et les émotions font rage, telle une tempête, ce gouvernail est toujours à votre disposition. Vous n’avez pas besoin d’apaiser la tempête par la force — saisissez simplement le gouvernail (revenez à votre respiration) pour rester sur votre cap.
Chapitre 2: Le monde autour: Réveillez vos sens
Au chapitre précédent, vous avez fait connaissance avec votre ancre intérieure — la respiration. Vous avez appris à y revenir lorsque l’esprit partait vers le passé ou le futur. C’est la base. Mais la vie n’est pas que la respiration à l’intérieur. C’est aussi tout un monde autour de nous, rempli de couleurs, de sons, d’odeurs, de goûts et de sensations. Et la plupart du temps, nous passons à côté de toutes ces richesses, comme des somnambules.
Imaginez: Vous marchez dans la rue. Votre esprit est occupé: vous pensez au travail, vous planifiez le dîner, vous ruminez une conversation. Et autour de vous? Le chant d’un oiseau dans un arbre? La couleur du ciel? La texture de l’asphalte sous vos pieds? L’odeur de l’herbe fraîchement coupée ou du café provenant d’un café proche? Très probablement, vous ne l’avez même pas remarqué. Vos sens étaient en marche, mais votre attention était partout sauf ici.
La pleine conscience, c’est se réveiller du sommeil du pilotage automatique. C’est ouvrir les portes de votre perception et retourner dans le monde des sensations qui nous est accessible ici et maintenant, à chaque instant. Nos cinq sens — la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher — sont des conducteurs directs vers la réalité du moment présent.
Pratique: Scanner sensoriel d’une minute (3—5 minutes)
Cet exercice peut être fait n’importe où: à la maison, dans un parc, dans les transports (sauf en conduisant!), dans une file d’attente. Asseyez-vous ou tenez-vous debout confortablement.
Préparez-vous: Prenez 1—2 respirations conscientes (comme au Chapitre 1). Sentez le contact de votre corps avec son support.
Ouvrez vos “radars”: Nous allons maintenant diriger successivement notre attention vers chacun des cinq sens. Ne cherchez rien de spécial, notez simplement ce qui est déjà présent.
La Vue (Que vois-je?): Regardez doucement autour de vous. N’analysez pas, n’évaluez pas (” joli/pas joli”). Notez simplement les couleurs, les formes, la lumière, les ombres, les mouvements. Comme si vous voyiez cet endroit pour la première fois. Qu’est-ce qui se trouve dans votre vision périphérique? Maintenez l’attention sur les images visuelles pendant 20—30 secondes.
L’Ouïe (Que j’entends?): Déplacez votre attention vers les sons. Proches et lointains. Forts et faibles. Voix humaines, bruits de machines, nature, musique, silence… (Oui, le silence est aussi un fond sonore!). Contentez-vous d’écouter, comme les sons apparaissent et disparaissent, comme des vagues. 20—30 secondes.
L’Odorat (Que sens-je?): Portez attention aux odeurs environnantes. L’air de la pièce, l’odeur de la nourriture, des parfums, de la rue, du papier, du tissu… Peut-être n’y a-t-il presque aucune odeur. C’est normal aussi. Explorez simplement ce canal. 20—30 secondes.
Le Toucher (Que sens-je sur ma peau?): Déplacez votre attention vers les sensations qui touchent votre peau. La température de l’air (frais/chaud)? Le mouvement de l’air (une brise, un courant d’air)? La texture des vêtements? La sensation de la chaise sous vous ou du sol sous vos pieds? Le poids de votre corps? La pression du bracelet de votre montre ou de vos lunettes? Notez ces sensations. 20—30 secondes.
Le Goût (Que sens-je comme goût?): Portez attention au goût dans votre bouche en ce moment même. Peut-être des restes de nourriture ou de boisson, le goût du dentifrice, ou simplement le goût neutre de la salive. Notez-le simplement. 20—30 secondes.
Revenez à la respiration (optionnel): Terminez par une ou deux respirations conscientes, en sentant votre corps ici et maintenant.
Notez: Quelle a été la sensation la plus vive? Qu’est-ce qui a surpris? Comment vous sentez-vous après ce “scan”?
Micro-pratique quotidienne: Prendre son thé/café en conscience (ou toute nourriture/boisson)
Transformez une pause ordinaire en une mini-méditation des sens :
Préparez: Versez une tasse de votre boisson préférée (ou prenez un petit morceau de nourriture — un fruit, un biscuit).
Arrêtez-vous: Avant de boire/manger, faites une pause. Posez la tasse/l’aliment.
Explorez avec vos sens :
Vue: Observez la boisson/la nourriture. Quelle couleur? Quelles reflets? Quelle consistance?
Odorat: Approchez-la de votre nez. Inspirez l’arôme. Quelles notes sentez-vous? Comment l’arôme change-t-il?
Toucher: Prenez la tasse/l’aliment dans vos mains. Quelle température? Quelle texture? Quel poids?
Ouïe: S’il y a des sons (versement, croquant), notez-les.
La première gorgée/ bouchée: Faites le premier geste très lentement.
Goût: Laissez la boisson/l’aliment toucher votre langue. Quelles saveurs? Sucré, amer, acide, salé, umami? Comment le goût change-t-il?
Sensation en bouche: Quelle texture? Chaleur/fraîcheur?
Arrière-goût: Que reste-t-il après la gorgée/la déglutition?
Continuez à boire/manger: Essayez de garder une partie de votre attention sur les sensations, au moins au début. Inutile d’analyser chaque gorgée, soyez simplement présent au processus.
Vous venez de réveiller vos sens! Le monde qui vous entoure n’est pas qu’un décor pour vos pensées. C’est un flux vivant et vibrant de sensations. Chaque instant est une opportunité de se réveiller et de le ressentir pleinement. Pas besoin d’aller au bout du monde pour des impressions. Elles sont ici, dans une tasse de thé, dans le son de la pluie, dans le contact du vent sur votre peau.
Chapitre 3: Votre corps, ici et maintenant
Au chapitre précédent, nous avons découvert tout un monde de sensations extérieures — sons, odeurs, couleurs, textures. Nous avons appris à “réveiller” nos sens externes. Mais il existe une autre source d’information incroyablement importante sur le moment présent, que nous ignorons souvent ou que nous percevons de manière déformée — notre propre corps.
Imaginez: Vous êtes assis à votre bureau depuis deux heures. Votre tête est occupée par un projet. Et ce n’est qu’en vous levant pour vous étirer que vous remarquez soudain: le dos engourdi, les épaules raides comme de la pierre, les mâchoires serrées, et dans le ventre — une légère inquiétude. Votre corps envoyait des signaux tout ce temps, mais vous ne les entendiez pas, car votre esprit était absorbé par les pensées.
Notre corps est le baromètre le plus honnête de notre état. Il réagit instantanément au stress (par la tension), à la joie (par la chaleur, la légèreté), à la fatigue (par la lourdeur). Mais en pilotage automatique, soit nous ne remarquons pas ces signaux, soit nous les percevons comme une gêne (” Encore ce mal de dos, ça m’empêche de travailler!”). La pleine conscience nous apprend à rétablir le contact avec le corps, à entendre son langage et à le traiter avec bienveillance et attention.
Pratique: Scanner corporel simple (5—10 minutes)
Cet exercice (souvent appelé Body Scan) est l’une des pierres angulaires de la pratique de la pleine conscience. Il est préférable de le faire allongé sur le dos (sur un tapis, un lit ou un canapé) ou assis dans un fauteuil confortable, le dos droit. Les bras reposent le long du corps ou sur les genoux.
But: non pas de détendre le corps (même si cela arrive souvent), mais simplement de noter toutes les sensations présentes dans chaque partie du corps, sans jugement. Il n’y a pas de sensations “bonnes” ou “mauvaises”.
Préparez-vous: Fermez les yeux. Prenez 3—5 respirations profondes et calmes. Sentez le poids de votre corps, son contact avec la surface sur laquelle vous êtes allongé/assis.
Les orteils du pied droit: Portez votre attention sur les orteils de votre pied droit. Que sentez-vous là? De la chaleur, de la fraîcheur? Des picotements, une pulsation? Le léger contact de la chaussette ou de la couverture? Ou peut-être ne sentez-vous presque rien? C’est normal aussi! Notez simplement ce qui est présent. Restez avec les sensations dans les orteils du pied droit pendant 20—30 secondes.
Le pied droit: Élargissez maintenant votre attention à tout le pied droit — la plante, le talon, le dessus du pied. Quelles sensations ici? Tension, relâchement? Chaleur, froid? La texture de la surface en dessous? Observez simplement.
La cheville et le mollet: Remontez lentement votre attention le long de la jambe droite — la cheville, le mollet, le tibia. Notez toutes les sensations — tension musculaire, pouls, température, contact avec les vêtements ou la surface. Inutile de rien changer, soyez simplement conscient.
Le genou et la cuisse: Continuez à remonter — le genou, la cuisse. Explorez les sensations.
La jambe droite entière: Un instant, sentez la jambe droite dans son ensemble. Quelle sensation générale?
Répétez pour la jambe gauche: Portez maintenant votre attention sur les orteils du pied gauche et répétez les étapes 2 à 6 pour la jambe gauche.
Le bassin et le ventre: Déplacez votre attention vers la région du bassin (fesses, coccyx, hanches) et le ventre. Quelles sensations ici? La respiration? Tension ou mollesse? Chaleur? Notez simplement.
Le dos: Dirigez maintenant votre attention vers le dos. Sentez le contact du dos avec la surface. Quelles sensations le long de la colonne vertébrale? Dans le bas, le milieu, le haut du dos? Tension, chaleur, lourdeur?
La poitrine et les épaules: Portez votre attention sur la cage thoracique. Sentez-vous le mouvement de la respiration ici? Des sensations dans la poitrine? Maintenant — les épaules. Les tensions s’y accumulent souvent. Notez simplement ce qui est présent, sans essayer de vous détendre immédiatement.
Les bras: Portez attention aux doigts de la main droite -> la paume -> le poignet -> l’avant-bras -> le coude -> l’épaule. Puis sentez le bras droit entier. Répétez pour le bras gauche.
Le cou et la gorge: Portez votre attention sur le cou — l’avant et l’arrière. Sensations? Tension? Puis — la gorge. Sentez-vous la respiration ici?
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